Homo vampiris by Fabien Clavel

Auteur:Fabien Clavel [Clavel, Fabien]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique et Terreur
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

22

BERLIN – 14 AOÛT – 22 H 43

Fedora arriva à la Berlin Hauptbahnhof par le train de 22 h 43.

Elle transita, somnolente, sous l’immense verrière qui prenait avec le temps des allures de serre. La chaleur était étouffante, tropicale, malgré la climatisation, malgré les bâches d’aluminium qu’on avait déployées pour limiter le rayonnement et dont certaines portions partaient en lambeaux métalliques.

Elle avait vaguement craint de faire le voyage avec Ashanti qui se trouvait à Paris comme elle, au moment où le rendez-vous avait été fixé. Cependant le Ghanéen avait annoncé qu’il arriverait plus tard, ayant encore des affaires à boucler. Elle avait accueilli la nouvelle avec soulagement. Malgré les années, elle ne s’habituait toujours pas aux scarifications de son compagnon. Il y avait quelque chose de barbare en lui, nonobstant son extrême raffinement.

Elle quitta la gare, hésitant sur la marche à suivre. Elle avait encore plus d’une heure d’avance. Que ferait un vampire dans ces circonstances ?

Après réflexion, elle sauta dans un tram et se dirigea vers le centre de Berlin.

La ville se construisait toujours, en perpétuelle croissance. Un immeuble s’écroulait qu’il était aussitôt rebâti selon les moyens les plus modernes. Elle n’avait pas le temps de s’habituer au nouveau visage de la capitale qu’il avait déjà changé, comme ces femmes qui retournaient compulsivement chez le chirurgien esthétique pour se faire transformer le nez, les paupières, le menton, jusqu’à ne plus ressembler à rien.

La cité était un tel mélange de différents âges, de couches sédimentaires remuées, de siècles entrechoqués. Tout était laid, hétéroclite, disgracieux.

Depuis quand la grâce avait-elle quitté le monde ?

Instinctivement, Fedora connaissait la réponse à sa question. Elle avait toujours voulu correspondre à ce qu’on attendait d’elle. À l’école de danse et après. Depuis qu’elle était devenue… Elle avait tout essayé pour se conformer à la caricature. Ses cheveux longs et noirs, ses robes sombres à fourreau décolletées, toujours élégantes, avec parfois une touche de rouge. Ses lèvres purpurines ou améthyste. Elle était la femme fatale, la vamp. Depuis peu seulement, elle avait renoncé aux longs gants de soie qui remontaient au-delà du coude.

Elle se rappelait comment, au début, elle avait tenté de dormir dans un cercueil. Avec le recul, toute cette histoire lui paraissait grotesque. Elle avait déployé des trésors d’imagination pour en récupérer un discrètement. Elle avait pensé à creuser la tombe fraîche d’un mort, ou même à le remplacer au moment de l’enterrement. Mais cela aurait abîmé la bière. Et puis, elle ne voulait pas que quelqu’un d’autre dorme dans son lit. Finalement, elle en avait volé une, la nuit, minable, dans des pompes funèbres mal gardées.

Une étrange période avait commencé pour elle.

La première nuit, elle avait étouffé dans le cercueil rembourré. Il faisait trop chaud et l’air ne passait pas. La légende partait du principe que les vampires étaient des morts-vivants. Or, Fedora était toujours vivante. Et si ses besoins en oxygène avaient décru, ils existaient toujours. Elle avait donc pratiqué des trous d’aération dans les côtés. Autant pour le prestige, la boîte ressemblait à présent aux caisses de voyage pour animaux domestiques.

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